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n’est plus qu’une lueur lointaine, belle encore dans sa pâleur douloureuse, mais silencieuse, indifférente à ma vie et à ma mort, une voix qui se perd dans les espaces du ciel et qui ne me crie point de croire, mais d’espérer seulement. La volonté n’est plus qu’une humble et muette servante de ce reste de vertu et de religion. Elle proportionne son activité au besoin qu’on a d’elle ; et peut-être a-t-elle un troisième conseiller plus fort que la foi et que la vertu, l’orgueil.

Oui, l’orgueil saignant, altier et debout sous les plaies et les souillures dont on s’est efforcé de le couvrir. Nul n’a été plus outragé et plus calomnié que moi, et nul ne s’est cramponné avec plus de douleur et de force à l’espoir d’une justice céleste et au sentiment de sa propre innocence. Oh ! comment n’avoir pas d’orgueil, quand on a une guerre inique à soutenir ? Pourquoi Dieu m’a-t-il laissé faire si malheureux ? et pourquoi permet-il que l’impudence des hommes lâches flétrisse et tue l’existence des hommes candides ? Faut-il donc que l’innocent se lève dans sa douleur, et qu’essuyant les larmes de la colère et de la honte, il se lave des impuretés dont on l’accable ? Seigneur ! Seigneur ! à quoi songez-vous, quand vous envoyez un ange gardien à l’enfant suspendu encore au sein de sa mère, et quand votre providence s’occupe du dernier brin d’herbe de la prairie, tandis qu’elle laisse meurtrir et outrager le faible, et que l’honneur, la plus belle fleur qui croisse sur nos chemins, est brisé et foulé aux pieds par le premier écolier qui passe ? L’homme dont le front s’est plissé dans la réflexion et dans la souffrance est-il donc moins précieux pour vous que l’âme inerte et encore informe du nourrisson de la femme ? Notre triste gloire humaine est-elle plus méprisable que l’ortie qui croît le long des cimetières ? Ô Dieu du ciel ! voyez, entendez, et faites justice.