jeune, et chaque soir en s’endormant elle prie Dieu de lui conserver la vie. Ah ! mon Dieu, mon Dieu ! c’est donc bien bon de vivre ? pourquoi ne suis-je pas ainsi ? Ma position sociale pourrait être belle ; je suis indépendant, les embarras matériels de mon existence ont cessé ; je puis voyager, satisfaire toutes mes fantaisies ; pourquoi n’ai-je plus de fantaisies ?
Ne réponds pas à ces questions-là, c’est trop tôt. Tu ne sais pas les événements qui m’ont amené à cet état moral, et tu pourrais concevoir quelque fausse idée, faute de bien connaître et de bien juger les faits. Mais réponds en ce qui te concerne. — Tu as souffert, tu as aimé, tu es un être très-élevé sous le rapport de l’intelligence, tu as beaucoup vu, beaucoup lu ; tu as voyagé, observé, réfléchi, jugé la vie sous bien des faces diverses. — Tu es venu échouer, toi dont la destinée eût pu être brillante, sur un petit coin de terre où tu t’es consolé de tout en plantant des arbres et en arrosant des fleurs. Tu dis que tu as souffert dans les commencements, que tu as soutenu une lutte avec toi-même, que tu t’es contraint à un travail physique. Raconte-moi avec détail l’histoire de ces premiers temps, et puis dis-moi le résultat de tous ces combats et de toute cette vertu. Es-tu calme ? supportes-tu sans aigreur et sans désespoir les tracasseries de la vie domestique ? t’endors-tu aussitôt que tu te couches ? n’y a-t-il pas autour de ton chevet un démon sous la forme d’un ange qui te crie : L’amour, l’amour ! le bonheur, la vie, la jeunesse ! — tandis que ton cœur désolé répond : Il est trop tard ! cela eût pu être, et cela n’a pas été ? — Ô mon ami ! passes-tu des nuits entières à pleurer tes rêves et à te dire : Je n’ai pas été heureux ?
— Oh ! je le devine, je le sens, cela t’arrive quelquefois, et j’ai tort peut-être de réveiller l’idée d’une souffrance que le temps et ton courage ont endormie ; mais ce sera une occasion d’exercer la force que tu as amassée que de me raconter