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L’ENNEMI DU PAPE.

« Restez en paix, mes frères, et laissez le pape vider ses querelles lui-même. Les foudres de Rome sont éteintes, et le feu de la colère brûle en vain les entrailles des hommes de Dieu. Leur anathème n’est plus qu’un son dont le vent se joue comme de l’écume des flots grondeurs. L’hérésiarque n’est plus forcé d’aller se réfugier dans les montagnes, et d’user la plante de ses pieds à fuir les vengeances de l’Église. La foi est devenue ce que Jésus a voulu qu’elle fût : un espoir offert aux âmes libres, et non un joug imposé par les puissants et les riches de la terre. Restez en paix, mes frères, Dieu n’épouse pas les querelles du pape.

« Imprudents qui voulez les réconcilier, vous ne savez pas le mal que vous feriez à l’Église si vous étouffiez cette voix rebelle ! Vous ne savez pas que le pape est bien content et bien fier d’avoir un ennemi : que ne donnerait-il pas pour en avoir deux, pour qu’un autre Luther entraînât la foule vers ses pas ! Mois le monde est indifférent désormais aux débats théologiques ; il lit les plaidoyers de l’hérétique, parce qu’ils sont beaux ; il ne lit pas les jugements du pape, parce qu’ils sont catholiques et rien de plus. Lisez-les, mes frères, puisque le pape vous les impose ; mais priez tout bas pour l’ennemi du pape.

« Vous avez bien assez travaillé, vous avez bien assez souffert en ce monde, vieux débris du plus ancien peuple de la terre ! vos barbes blanches sont encore tachées du sang de vos frères, et la neige du mont Ararat en a été rougie jusqu’à la cime, où s’arrêta l’arche sainte. Le cimeterre turc a rasé vos têtes jusqu’aux os, et l’infidèle s’est baigné la cheville dans les pleurs des derniers enfants de Japhet. La méfiance, qui plisse parfois vos fronts sereins, est le cachet qu’y a laissé la persécution. Mais rassurez-vous, mes frères, et sachez bien qu’il y a loin du pouvoir d’un pape romain à