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d’une inquiétude qui ne me serait jamais venue, si la personne dont je t’ai parlé n’y avait donné lieu. Pouvais-je inventer un motif ? Je ne pense pas que tu eusses trouvé fort agréable et fort délicate une réclamation impérieuse et sèche. J’ai dû tout te dire. C’est mon cœur qui me l’a conseillé ; et il me semble qu’une injure par moi reçue en silence, et lavée entre toi et moi dans le secret d’une lettre, n’est pas subie sans modération et sans dignité.

Pour en finir au plus vite avec le chapitre des explications, je crois pouvoir affirmer qu’on s’est trompé en me supposant gratuitement de l’humeur à propos d’une lettre que tu ne m’aurais pas écrite. Je ne sais ce que cela veut dire. Je me souviens d’avoir été brisée, je ne me souviens pas d’avoir eu du dépit ou du mécontentement sur quoi que ce soit. Je me souviens de m’être éveillée à Nohant couverte de taches hépatiques de la tête aux pieds, et de n’avoir pas cessé depuis ce jour-là d’avoir mal au foie. C’est bien assez des maux réels sans y joindre des piqûres d’amour-propre. Je t’avoue qu’il n’y avait pas place en moi pour les petites choses à cette heure solennelle et décisive de ma vie.