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les sept cordes de la lyre

pas le droit d’errer sur un seul point de la destinée humaine.

albertus. Mais enfin, que me reproches-tu ? N’ai-je pas toujours enseigné que les arts étaient de nobles et puissants moyens pour hâter l’éducation du genre humain ? Si j’ai condamné les artistes modernes comme exerçant sur vous, par leur frivolité moqueuse ou leur amer scepticisme, une action funeste, n’ai-je pas toujours salué dans l’avenir les grands poëtes qui s’attacheront à être les auxiliaires et les propagandistes de la sagesse ?

wilhelm. Vous croyez donc, maître, qu’il n’existe pas dès aujourd’hui de ces poëtes-là ?

albertus. Je ne veux rien dire des personnes ; je dis seulement qu’aujourd’hui la poésie n’a pas encore trouvé le mot de sa destinée providentielle sur la terre. Il est quelques productions de l’art que j’admire, parce que je les comprends, parce que tout le monde peut les comprendre, et qu’elles ont un but louable… Vous souriez, et je sais d’avance ce que vous allez dire. Ces œuvres que vous m’avez vu approuver vous semblent vulgaires, et ceux qui les ont créées ne méritent, selon vous, ni le titre de poëtes ni celui d’artistes. D’où vient donc cela ? Le beau est-il relatif ? est-il le résultat d’une convention ? et ce qui est beau pour l’un ne l’est-il plus pour l’autre ?

hanz. Le beau est infini : c’est l’échelle de Jacob qui se perd dans les nuées célestes ; chaque degré qu’on monte vous révèle une splendeur plus éclatante au sommet. Ceux qui se tiennent tout en bas n’ont qu’une idée confuse de ce que d’autres, placés plus haut, voient clairement ; mais ce que ceux-là voient, les autres ne le comprennent pas et refusent de le