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les sept cordes de la lyre

viez. Voyons, instruisez-moi ; faites éclore en moi quelque idée nouvelle. Prenez votre flûte, et jouez-moi une valse. Si, pendant ce temps, il me vient une solution aux grands problèmes qui m’occupent, je serai de bonne foi, et, vous remerciant de votre prédication, je me dirai à jamais, comme au bas d’une lettre de nouvel an, votre fils soumis et reconnaissant.

hanz. Je ne pourrais ouvrir le ciel avec cette mauvaise flûte que vous venez de découvrir dans la poche de mon gilet. Mais, si je n’ai qu’un chétif talent, si je ne possède qu’un pauvre grain de poésie, la faute en est à vous, maître ; car c’est vous qui proscrivez les arts de nos études, et nous sommes obligés de jouer du violon ou de la clarinette à la dérobée dans les cabarets, bien loin de votre demeure. Sans les arrêts sévères que vous avez portés contre la musique, je serais peut-être un grand artiste, un poëte, un magicien comme Adelsfreit ; et, dans ce moment-ci, je pourrais faire un miracle et vous convertir. La chose serait importante, croyez-moi ; car le grand malheur de la poésie n’est nullement d’être méconnue par les jurés et les inspecteurs des beaux-arts ; c’est d’être ignorée des hommes comme vous, maître ; car, de même qu’un grand poëte tient l’avenir de la philosophie dans ses mains, un grand philosophe tient dans les siennes l’avenir de la poésie. Un ministre peut faire cent bévues par jour, et une coterie cent intrigues par heure, et l’avenir de la poésie ne sera pas entravé au delà de l’existence de ce ministre ou de cette coterie. Mais, si Albertus se trompe, l’avenir de la poésie peut être entravé pour des siècles. Les sots ont pour refuge l’impunité ; les grands esprits n’ont