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coup d’œil général sur paris

me clore contre le froid, contre le bruit, et de placer sous mes yeux quelques objets d’art, types de beauté ou gages d’affection. Et je me répondis que je ne valais donc pas mieux que tant d’autres, qu’il était donc bien plus facile de dire le mal que de faire le bien. Et j’eus une telle horreur de moi-même, en pensant que d’autres avaient à peine un sac de paille pour se réchauffer entre quatre murs nus et glacés, que j’eus envie de sortir de chez moi pour n’y jamais rentrer. Et s’il y avait eu, comme au temps du Christ, des pauvres préparés à la doctrine du Christ, j’aurais été converser et prier avec eux sur le pavé du bon Dieu. Mais il n’y a même plus de pauvres dans la rue ; vous leur avez défendu de mendier dehors, et l’homme sans ressource mendie la nuit, le couteau à la main. Et, d’ailleurs, mon désespoir n’eût été qu’un acte de démence : je n’avais ni assez d’or pour diminuer la souffrance physique, ni assez de lumières pour répandre la doctrine du salut. Car, si l’on ne fait marcher ensemble le salut de l’âme et celui du corps, on tombera dans les plus monstrueuses erreurs. Je le sentais bien, et je demeurai triste, élevant vers le ciel une protestation inutile, j’en conviens, Satan ; mais tu serais venu en vain m’enlever, pour me montrer d’en haut les royaumes de la terre et pour me dire : « Tout cela est à toi si tu veux m’adorer, » je t’aurais répondu : « Ton règne va finir, tentateur, et tes royaumes de la terre sont si laids, qu’il n’y a déjà plus de vertu à les mépriser. »