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les sept cordes de la lyre

sophes qui veulent à la fois connaître et sentir. Si nous les laissions faire, l’homme nous échapperait bien vite. Holà ! mes maîtres ! croyez et soyez absurdes, nous y consentons ; mais ne vous mêlez pas de croire et d’être sages. Cela ne sera pas, tant que le diable aura à bail cette chétive ferme qu’il vous plaît d’appeler votre monde.

Or, il faudra procéder autrement avec toi, cher philosophe, qu’avec feu le docteur Faust. Celui-là ne manquait ni d’instincts violents ni de pompeux égoïsme ; et, au moment d’en être affranchi par la mort, l’insensé perdant patience, et regrettant de n’avoir pas mis la vie à profit, je sus le rajeunir et le lancer dans l’orage. Sa froide intelligence s’en allait tout droit à la vérité, si je n’eusse chauffé ses passions à temps et allumé en lui une flamme qui dévora madame la conscience en un tour de main ; mais, avec celui-ci, il est à craindre que les passions ne tournent au profit de la foi. Il a plus de conscience que l’autre ; l’orgueil a plus de prise sur lui, la vanité aucune. Il a si bien terrassé la luxure, qu’il est capable de comprendre la volupté angélique et de se sauver avec sa Marguerite, au lieu de la perdre avec lui. C’est donc à ton cœur que j’ai affaire, mon cher philosophe ; quand je l’aurai tué, ton cerveau fonctionnera à mon gré. Voyons, tourmentons un peu ce cœur qui se mêle d’être sympathique, et, au lieu de le rajeunir, enterrons-le sous les glaces d’une vieillesse prématurée. Il faudrait commencer par dégrader Hélène, ou l’abrutir en la mariant à un butor ; mais les niais trouveraient encore moyen de poétiser ses vertus domestiques. Le mieux, c’est de l’avilir en la prostituant à tous ces apprentis philosophes qui encombrent la