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carl

grisâtres éparses sur tous les points, passa sans crépuscule du jour à la nuit. Le chemin était emporté en mille endroits ; les torrents grossis avaient donné naissance à mille ruisseaux fougueux qui grondaient autour de nous, sans que nous pussions éviter leur rencontre farouche ; nous tombâmes plusieurs fois et j’eus un poignet foulé sur les roches. Pour comble de malheur, au moment où nous descendions sur des sables glissants labourés par les eaux, Carl, qui marchait devant moi et qui prétendait que le village où nous devions coucher était situé au bas de la côte, s’arrêta pensif et me dit :

— Je ne vois pas les lumières de T… ; il faut que nous nous soyons trompés de chemin, car ce village devrait être ici, à main gauche, et…

Le vent nous apporta en ce moment un bruit semblable à celui d’une cataracte.

— C’est une avalanche morte, dit Carl ; elle roule tout doucement de l’autre côté de la montagne.

Le bruit continua.

— Avançons, lui dis-je.

— Non pas, répondit-il ; ce n’est pas une avalanche qui descend ; c’est la grande cascade de Saint-Guillaume, et nous tournons le dos au village.

C’était bien le cas d’envoyer Carl à tous les diables ; mais j’étais accablé de fatigue, il ne me restait plus de force pour l’impatience. Je le priai de s’assurer de la vérité et de descendre encore un peu. Je m’appuyai, en l’attendant, contre un arbre et restai dans une sorte de stupeur. Les vives douleurs que je ressentais dans tous les membres m’annonçaient le retour de la fièvre ; mes pieds étaient glacés, ma tête était brûlante. Si Carl fut long à explorer le pays, si