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carl

— Rien du tout, que ma nourriture, répondit-il. Vous me donnerez vos vieux habits pour me couvrir. Hélas ! monsieur, je suis si faible et si borné, que toute prétention serait bien déplacée de ma part.

— Pauvre enfant ! lui dis-je, ton cœur est bon et noble ; si ton intelligence ne seconde pas tes intentions, et que je manque de patience avec toi, il faudra me le pardonner, et, pour m’apaiser, il suffira de me rappeler les soins que tu viens de me prodiguer.

Quelques jours après, nous étions sur la route d’Inspruck, Carl et moi. J’étais parti un peu plus tôt peut-être que mes forces ne me le permettaient ; car, vers le milieu du jour, je me sentis accablé d’une telle fatigue, que je ne pus atteindre le village où je m’étais proposé de me rafraîchir. Je me jetai dans un pré à l’ombre d’une haie, et j’y goûtai quelques heures d’un sommeil délicieux.

Quand je m’éveillai, je vis Carl endormi près de moi, dans l’attitude d’un chien fidèle qui garde son maître ; mais son sommeil était si profond, qu’on eût bien pu m’égorger mille fois avant qu’il s’en aperçût. Je le secouai à plusieurs reprises. Je l’appelai de toutes mes forces : tout fut inutile ; c’était une véritable léthargie. J’en pris un peu d’humeur. Il se pouvait que Carl fût en proie à de telles infirmités, qu’il me serait un véritable fléau, et j’eus un instant la pensée coupable de glisser dans son sac la moitié de ma bourse et de l’abandonner à la destinée. Mais j’eus bientôt horreur de ce dessein égoïste et lâche. Si le pauvre Carl était réellement atteint de maladie, ne lui devais-je pas mes soins, à lui qui m’avait