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carl

— Tu l’entends, disait mon ami, la mort s’impatiente, elle réclame sa proie.

— Carl, au nom du diable, ne descendras-tu pas ? criait la voix sinistre.

— Me laisseras-tu partir seul pour l’éternité ? disait Carl. Crains-tu de me suivre dans la tombe ?

Alors, je faisais un violent effort pour m’élancer vers mon ami, et je m’éveillais enfin baigné d’une sueur froide, l’œil égaré, la tête en feu ; mais, au lieu du fantôme, je ne voyais au pied de mon lit que le pauvre garçon d’auberge, avec sa face pâle et son air consterné, tandis que la voix diabolique de son père l’appelait en jurant du fond de la cuisine, située précisément au-dessous de mon plancher vermoulu.

Quand je me sentis convalescent, je commençai à discourir avec le pauvre Carl. J’obtins facilement sa confiance. Il me dit qu’il était le plus malheureux des êtres, que son père le haïssait, le rouait de coups à la plus frivole incartade, et que tout ce qu’il désirait au monde, c’était de quitter à jamais la maison paternelle.

— Si je ne l’ai pas fait encore, ajouta-t-il, c’est que, étant d’une mauvaise santé et n’étant pas propre à grand’chose, je craindrais d’être réduit à demander l’aumône ; ce qui serait peut-être moins malheureux que d’être traité comme je le suis, mais ce qui me cause une insurmontable répugnance.

Ces plaintes m’inspiraient une vive compassion, et en même temps le désir de soustraire mon jeune hôte à sa triste destinée. Mais j’hésitai beaucoup à m’en charger, car je n’étais pas assez riche pour l’emmener en qualité d’ami. Tout ce que je pouvais, c’était d’en faire mon domestique, et, malgré toute sa vertu, il