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carl

les sèches ; aujourd’hui enseveli sous la neige, demain réjoui et fécondé par la plus faible brise du printemps.

Peut-être qu’à l’époque où le souvenir de Carl était chez moi si vif et si poignant, j’étais moins malheureux que je ne suis aujourd’hui, distrait et consolé. Je croyais à la durée des souvenirs, à la force des sentiments ; et maintenant, que suis-je ? de quoi suis-je certain ?

Il y eut alors dans ma vie une aventure assez étrange, qui, tout en réveillant mes regrets, les adoucit, parce qu’elle leur donna un caractère romanesque et poussa mon esprit malade hors des limites sombres de la réalité.

L’aspect des lieux tant de fois parcourus avec mon ami me rendait sa perte et mon isolement de plus en plus sensibles. Je résolus de voir une contrée nouvelle et de fuir sa trace chérie avec autant de soin que je l’avais recherchée. Je parcourus la Styrie, et je poussai dans le Tyrol. Carl avait bien traversé cette dernière province, mais rapidement et sans moi. Rien ne l’y avait assez occupé pour qu’il m’en parlât avec quelque suite. Je m’y croyais donc à l’abri des vives émotions que la Misnie m’avait fait éprouver.

J’y trouvai, en effet, plus de distractions qu’ailleurs. Quoique la saison fût belle, la route était difficile et même dangereuse, à cause des fréquents orages de la canicule. Le pays prenait, à mesure que je me dirigeais vers Inspruck, un caractère de grandeur qui me pénétrait et m’arrachait à mes pensées ordinaires. Tout allait mieux pour moi que dans les semaines précédentes, lorsque, après avoir essuyé une grande fatigue dans les défilés du mont Brenner, je