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lettres à marcie

sur des planches qui tremblent sous nos pieds. Dans ce dur pèlerinage, nos rites se sont perdus, et nous avons oublié jusqu’à la formule de nos prières ; nous n’osons plus invoquer Jésus, nous craignons qu’il ne soit pas assez Dieu pour nous absoudre. Nous n’osons invoquer Jéhovah, nous craignons qu’il ne soit trop grand pour nous entendre ; trop orgueilleux ou trop humbles avec la Divinité, n’ayant plus ni règles, ni mesure, ni communion, ni symbole, nous faisons entendre sur nos sentiers perdus de grands cris de détresse, prière instinctive qui monte aux cieux, non plus comme un cantique, mais comme un sanglot.

Heureux ceux qui n’ont pas douté ! quelques élus ont marché sans crainte et sans fatigue par des chemins bénis ; ils ont gravi des pentes douces à travers de riantes vallées. Conduits par l’étoile mystérieuse de l’espérance, ces justes ont franchi le temps et les révolutions sans être un seul instant ébranlés dans leur sainte confiance. Ils ont dépouillé sans effort ni terreur le fond de la forme, l’erreur du mensonge ; ils ont tendu la main à ceux qui tremblaient, ils ont porté dans leurs bras les débiles et les accablés. Déjà ils pourraient sans doute formuler le christianisme futur, si le monde voulait les écouter ; et, quant à eux, ils ont placé leur temple sur les hauteurs au-dessus des orages, au-dessus du souffle des passions humaines. Ceux-là ne connaissent ni indignation contre la faiblesse, ni colère contre l’incertitude, ni haine contre la sincérité. Peut-être l’avenir n’acceptera-t-il pas tout ce qu’ils ont conservé des formes du passé ; mais ce qu’ils auront sauvé d’éternellement durable, c’est l’amour, élan de l’homme à Dieu ; c’est la charité, rapport de l’homme à l’homme.