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lettres à marcie

divine. Il est une puissance invisible qui veille sur nous tous, et, quand même nous serions oubliés, il y a un état de délaissement préférable aux rigueurs de la destinée. Il y a une abnégation meilleure que l’agitation vaine et les passions aveugles. Vous êtes au sein des mers orageuses comme une barque engravée. Les vents soufflent, l’onde écume, les oiseaux de tempête rasent d’un vol inquiet votre voile immobile ; tout éprouve la souffrance, le péril, la fatigue ; mais tout ce qui souffre participe à la vie, et ce banc de sable qui vous retient, c’est le calme plat, c’est l’inaction, image du néant. Mieux vaudrait, dites-vous, s’élancer dans l’orage, fût-ce pour y périr en peu d’instants, que de rester spectateur inerte et désolé de cette lutte où le reste de la création s’intéresse. Je comprends bien et j’excuse ces moments d’angoisses où vous appelez de vos vœux l’heure de la destruction qui seule consommera votre délivrance. Cependant, si les flots pouvaient parler et vous dire sur quels graviers impurs, sur quels immondes goëmons ils sont condamnés à rouler sans cesse ; si les oiseaux des tempêtes savaient vous décrire sur quels récifs effrayants ils sont forcés de déposer leurs nids, et quelles guerres des reptiles impitoyables livrent à leurs tremblantes amours ; si, dans les voix mugissantes de la rafale, vous pouviez saisir le sens de ces cris inconnus, de ces plaintes lamentables que les esprits de l’air exhalent dans les luttes terribles, mystérieuses, vous ne voudriez être ni la vague sans rivage, ni l’oiseau sans asile, ni le vent sans repos. Vous aimeriez mieux attendre l’éternelle sérénité de l’autre vie sur un écueil stérile ; là, du moins, vous avez le loisir de prier, et la résignation de la plus