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lettres à marcie

ne l’étourdit pas toujours. La perte du bonheur domestique est souvent irréparable. L’homme a moins d’amour physique pour la progéniture que la femme ; la sympathie morale est subordonnée à trop de chances pour que ses enfants lui donnent à coup sûr des satisfactions aussi vives que cet amour des entrailles, privilége exclusif de la mère. Sa tendresse, moins aveugle parce qu’elle est moins vive, est plus utile aux enfants, mais elle est moins douce à lui-même ; et forcément il doit attacher plus d’importance à la vie extérieure, aux soucis des affaires, aux faveurs de l’opinion. Ses relations avec la société ont toujours pour but direct ou indirect l’avenir de la famille. Car je prends pour type un homme ordinaire, dépourvu des hautes vertus qui font l’enthousiasme, mais préservé des vices affreux qui détruisent les sentiments humains. Cet homme est arrivé à l’âge où les affections personnelles ont fourni leur carrière ; il sent peu à peu se développer en lui un sentiment plus large, celui qui fait le citoyen, l’amour de la famille en grand, l’intérêt privé sympathique aux intérêts généraux, en un mot, le patriotisme plus ou moins éclairé, plus ou moins généreux. Des liens nombreux se sont formés entre l’individu et la société. Or, il trouve là des occupations attachantes, souvent même des jouissances vives dont la femme aurait le droit d’être jalouse si elle n’en avait de relatives dans la présence assidue et dans l’espèce de possession immédiate de ces êtres qu’instinctivement et moralement elle préfère à tout. Ainsi, tant qu’elle n’est pas opprimée dans l’exercice de ses véritables devoirs, elle trouve dans ces devoirs mêmes la source de ses félicités, ou tout au moins de ses consolations.