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lettres à marcie

d’action. Vous vous croyez propre à un rôle d’homme dans la société, et vous trouvez la société fort injuste de vous le refuser.

Je crains Marcie, que les promesses impuissantes d’une philosophie nouvelle ne vous aient fait du mal. Soit que vous ayez mal compris la véritable pensée du saint-simonisme, soit que, dans ses hésitations et ses recherches, le saint-simonisme n’ait pas trouvé le mot de vos destinées, vous y avez puisé le désir de l’impossible. J’éprouverai toujours de la répugnance à faire la guerre à l’apostolat éphémère des hommes qui avaient entrepris la régénération de l’homme par le travail et l’association ; mais je suis forcé de vous répéter que, par rapport à vous personnellement, il n’a rien été statué là qui pût vous être bon. Le saint-simonisme appelait les femmes à se déclarer, à se prononcer elles-mêmes sur leurs droits et sur leurs devoirs, à en tracer la limite absolue. En vérité, le pouvaient-elles ? En est-il une seule, au temps où nous vivons, qui le puisse faire, même d’une manière générale ? Ne sommes-nous pas, hommes et femmes, dans une époque de doute, d’examen, d’incertitude ? Ne savons-nous pas tous trop et trop peu sur toutes choses ? Qui osera prescrire une forme arbitraire au progrès qui nous saisit, une marche rigide au torrent qui nous entraîne ? Jamais il ne fut plus difficile de s’éclairer sur les véritables besoins d’une génération. Ne faudra-t-il pas attendre que la vérité se manifeste et sorte éclatante de toutes nos clameurs ? N’est-il pas des infortunes plus urgentes à soulager que l’ennui de celui-ci et la fantaisie de celui-là ? Le peuple est aux prises avec des questions vitales ; il y a là des abîmes à découvert. Nos larmes y tombent en vain,