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les sept cordes de la lyre

cœurs, combien le mien était pur et sincère ! Pourquoi donc ces défaillances mortelles qui me saisissent ? Pourquoi ces doutes cruels qui me déchirent ? Le chemin de la sagesse est-il donc si rude, que, plus on y avance, plus on rencontre d’obstacles et de périls ? Pourquoi, lorsque j’ai déjà fourni la moitié de la carrière, et lorsque j’ai passé victorieux les années les plus orageuses de la jeunesse, suis-je, dans mon âge mûr, exposé à des épreuves de plus en plus terribles ? Regretterais-je donc, à présent qu’il est trop tard, ce que j’ai méprisé alors qu’il était temps encore de le posséder ? Le cœur de l’homme est-il ainsi fait que l’orgueil seul le soutienne dans sa force, et ne saurait-il accepter la douleur si elle ne lui vient de sa propre volonté ? — On dit toujours aux philosophes qu’ils sont orgueilleux !… S’il était vrai ! Si j’avais regardé comme une offrande agréable à la Divinité des privations qu’elle repousse ou qu’elle voit avec pitié comme les témoignages de notre faiblesse et de notre aveuglement ! si j’avais vécu sans fruit et sans mérite ! si j’avais souffert en vain ! — Mon Dieu ! des souffrances si obstinées, des luttes si poignantes, des nuits si désolées, des journées si longues et si lourdes à porter jusqu’au soir ! — Non, c’est impossible ; Dieu ne serait pas bon, Dieu ne serait pas juste s’il ne me tenait pas compte d’un si grand labeur ! Si je me suis trompé, si j’ai fait un mauvais usage de ma force, la faute en est à l’imperfection de ma nature, à la faiblesse de mon intelligence, et la noblesse de mes intentions doit m’absoudre !… M’absoudre ? Quoi ! rien de plus ? Le même pardon que, dans sa longanimité dédaigneuse, le juge accorderait aux voluptueux et aux égoïstes !… M’absoudre ? Suis-je donc un dévot, suis-je un mystique