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lettres à marcie

ment dans mon angoisse ma misère et la vôtre, qu’il m’est impossible de vous donner des conseils. Je tâcherai d’y suppléer par un récit. En pensant à vous l’autre soir, je me suis rappelé une anecdote que j’ai voulu écrire pour vous l’envoyer. J’ai bien fait, car aujourd’hui elle suppléera à toute exhortation. D’ailleurs, j’ai foi à la puissance des exemples. La parabole fut l’enseignement des simples. Enseignement sublime, que sont tous nos poëmes au prix de tes naïves allégories !

Le curé d’une petite ville de Lombardie, où j’ai passé quelque temps, avait trois nièces, toutes trois agréables et parfaitement élevées. Orphelines et sans fortune, elles furent recueillies par leur oncle, et, grâce à leur économie, à leur bon caractère et à leur zèle, elles apportèrent, en même temps que le bonheur et la gaieté, un surcroît d’aisance dans le presbytère. Le bon vieillard, en retour, sut leur inspirer tant de sagesse par ses leçons, qu’elles renoncèrent à l’idée peut-être un peu caressée jusque-là de se marier. Il leur fit entendre qu’étant pauvres, elles ne trouveraient que des maris au-dessous d’elles par l’éducation, ou tellement pauvres eux-mêmes, que la plus profonde misère serait le partage de leur nouvelle famille. « La misère n’est point un opprobre, leur disait-il souvent en ma présence ; honte à quiconque ne redoublerait pas de respect pour ceux qui la supportent dignement, et de compassion pour ceux qui en sont accablés ! Mais c’est une si rude épreuve que le besoin ! N’y a-t-il pas une témérité bien grande à risquer la paix et la soumission de son âme dans un si terrible pèlerinage ? » Il fit si bien qu’il éleva leurs esprits à un état de calme et de dignité vraiment