Page:Sand - Les Sept Cordes de la lyre.djvu/160

Cette page a été validée par deux contributeurs.
150
les sept cordes de la lyre

d’hui, c’est la timidité : d’une part, la crainte de ne pas savoir plaire à une femme ; de l’autre, la peur de paraître ridicule à vos élèves.

albertus. Je puis jurer devant Dieu et devant les hommes que vous vous trompez. Si je croyais devenir meilleur et plus utile à la société en me mariant, je le ferais tout de suite, avec simplicité, avec franchise. J’augure assez bien des femmes pour croire qu’il s’en trouverait au moins une qui serait touchée de ma candeur, et je connais assez mes élèves pour être sûr qu’ils apprécieraient ma bonne foi ; mais je suis certain que l’amour serait désormais un poison pour mon âme. Je serais porté à m’absorber tellement dans l’amour d’une créature semblable à moi, que je perdrais le sentiment de l’infini et la contemplation assidue de la Divinité. La jalousie dévorerait mes entrailles, et détruirait peu à peu toutes mes idées de justice, de patience et d’abnégation. Pour quelques enfants de plus que je donnerais à la patrie, je lui retirerais ma doctrine, qui certes lui est plus nécessaire ; car les bras manqueront toujours moins que les intelligences. N’est-ce pas votre avis ?

méphistophélès. Ainsi, vous êtes bien décidé à rester moine ? C’est votre dernier mot ?

albertus. Si c’est ainsi qu’il vous plaît de me qualifier, soit ! C’est ma dernière résolution.

méphistophélès. En ce cas, dites-moi donc, maître Albertus, pourquoi vous avez réduit la lyre à cette seule corde d’airain ?

albertus, troublé. Qu’ont de commun le son de cette lyre et les expériences physiques dont elle est l’objet pour moi, avec les principes de ma conduite et les sentiments de mon âme ?