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les sept cordes de la lyre

albertus. Vous ne sauriez nier pourtant que j’aie enseigné des vérités utiles, et je vous répondrai que je n’eusse pas eu le loisir de découvrir et d’enseigner ces vérités si j’eusse livré ma vie au caprice des passions.

méphistophélès. Qui vous parle de caprices ? qui vous parle de passions ? Ne pouviez-vous cultiver, dans le sanctuaire de votre âme, comme vous dites, un amour pur, une amitié conjugale, durable, légitime ? Ne pouviez-vous pas vous marier, être père ? Alors, vous eussiez enseigné avec autorité les devoirs de la famille dont vous parlez si souvent à vos élèves, à peu près comme un aveugle parle des couleurs.

albertus. J’y ai souvent songé ; mais j’ai senti dans mon âme le germe de passions si violentes, que je n’eusse pu faire de l’hyménée un lien aussi paisible, aussi noble, aussi durable que ma raison le conçoit et que ma conviction le prêche aux autres.

méphistophélès. Et pourquoi, s’il vous plaît, le germe de vos passions est-il devenu si brûlant et si dangereux ? C’est que vous l’avez trop longtemps comprimé. Ainsi, avec toute votre vertu, vous êtes inférieur au dernier bourgeois de votre ville.

albertus. J’en suis trop convaincu ! mais le mal est fait. Plus j’ai tardé, plus il est certain que je ne dois pas entrer dans cette carrière. Il est peut-être des erreurs dans lesquelles la sagesse nous ordonne de persévérer en apparence, ou du moins dont elle nous condamne à porter la peine jusqu’au bout.

méphistophélès. Voilà le plus beau sophisme qui soit jamais sorti de la bouche d’un sage ; mais ce n’en est pas moins un sophisme bien conditionné. Dites tout bonnement que ce qui vous arrête aujour-