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Les Maîtres Sonneurs

Cinquième veillée

Nous le dévisagions, Brulette et moi, car il n’était plus le Joset que nous connaissions. Pour moi, il y avait quelque chose dans tout cela qui me rappelait les histoires qu’on fait chez nous sur les sonneurs-cornemuseux, lesquels passent pour savoir endormir les plus mauvaises bêtes, et mener, à nuitée, des bandes de loups par les chemins, comme d’autres mèneraient des ouailles aux champs. Joset n’était point dans une figure naturelle à ce moment-là, devant moi. De chétif et pâlot, il paraissait grandi et amendé, comme je l’avais vu dans la forêt. Il avait de la mine ; ses yeux étaient dans sa tête comme deux rayons d’étoile, et quelqu’un qui l’aurait jugé le plus beau garçon du monde ne se serait point trompé sur le moment.

Il me paraissait aussi que Brulette en était charmée et ensorcelée, puisqu’elle avait vu tant d’affaires dans cette flûterie où je n’avais vu que du feu, et j’eus beau vouloir lui représenter que Joset ne ferait jamais danser que le diable avec sa musique, elle ne m’écouta point, et le pria de recommencer.

Il s’y porta bien volontiers, et reprit sur un air qui ressemblait au premier, mais qui n’était pourtant pas le même ; d’où je vis que ses idées ne différaient pas les unes des autres pour le moment, et qu’il ne voulait en rien se ranger à la mode du pays. En voyant comme Brulette écoutait et paraissait goûter la chose, je fis un effort de ma tête pour la goûter aussi, et il me parut que je m’accoutumais si bien à cette nouvelle sorte de musique, que j’en étais mouvé aussi au dedans de moi ; car il se fit aussi en moi une songerie, et je crus voir Brulette dansant toute seule au clair d’une belle lune, sous des buissons de blanche épine fleurie, et secouant son tablier rose, comme prête à s’envoler. Mais voilà que, tout d’un coup, il se fit, non loin de là, comme une