Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
47
Quatrième veillée

Ce disant, il désignait Brulette, qui lui prit la main bien amiteusement en lui répondant :

— Joset, je crois bien à ce qui est dans ta tête, mais je ne peux pas être assurée de ce qui en sortira. Vouloir et pouvoir sont deux ; songer et flûter diffèrent grandement. Je sais que tu as dans les oreilles, ou dans la cervelle, ou dans le cœur, une vraie musique du bon Dieu, parce que j’ai vu ça dans tes yeux quand j’étais petite, et que, plus d’une fois, me prenant sur tes genoux, tu me disais d’un air charmé : « Écoute, ne fais pas de bruit, et tâche de te souvenir. » Alors, moi, j’écoutais bien fidèlement, et je n’entendais que le vent qui causait dans les feuillages, ou l’eau qui grelottait au long des cailloux ; mais toi, tu entendais autre chose, et tu en étais si assuré, que je l’étais par contre.

Eh bien ! mon garçon, conserve dans ton secret ces jolies musiques qui te sont bonnes et douces ; mais n’essaye point de faire le ménétrier, car il arrivera ceci ou cela : ou tu ne pourras jamais faire dire à ta musette ce que l’eau et le vent te racontent dans l’oreille ; ou bien, si tu deviens musiqueux fin, les autres petits musiqueux du pays te chercheront noise et t’empêcheront de pratiquer. Ils te voudront mal et te causeront des peines, comme ils ont coutume de faire, pour empêcher qu’on n’ait part à leurs profits et à leur renom. Ils y mettent de l’intérêt et de la gloriole aussi. Ils sont ici et aux alentours une douzaine, qui ne s’accordent guère entre eux, mais qui s’entendent et se soutiennent pour ne point laisser pousser de nouvelles graines sur leurs terres. Ta mère, qui entend causer les cornemuseux le dimanche, car ils sont tous gens très-asséchés de soif et coutumiers de boire bien avant dans la nuit après les danses, est très-chagrinée de te voir penser à entrer dans une pareille corporation. Ils sont rudes et méchants, et toujours des premiers exposés dans les querelles et batteries. L’habitude d’être en fête et chômage les rend ivrognes et dépensiers. En-