Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/75

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
43
Quatrième veillée

connaître que cette musette-là est celle à Carnat ? Il me semble, à moi, que musette pour musette, ça braille toujours de la même mode. J’entends bien que celle qui sonne là-bas n’est pas soufflée comme il faut, et que l’air est estropié un si peu ; mais ça ne me gêne point, car je n’en saurais pas faire autant. Est-ce que tu crois que tu ferais mieux ?

— Je ne sais pas ! mais, pour sûr, il y en a qui font mieux que ce cornemuseux-là, et mieux que Carnat, son maître. Il y en a qui sont dans la vérité de la chose.

— Où les as-tu trouvés ? Où sont-ils, ces gens dont tu parles ?

— Je ne sais pas ; mais il y a quelque part une vérité, c’est le tout de la rencontrer, puisqu’on n’a pas le temps et le moyen de la chercher.

— C’est donc, Joset, que tu aurais ton idée tournée à la musiquerie ? Voilà qui m’étonnerait bien. Je t’ai toujours connu muet comme une tanche, ne retenant et ne ruminant aucune chanson ; car, quand tu t’essayais sur le chalumeau de paille, comme font beaucoup de pâtours, tu changeais tous les airs que tu avais entendus, de telle manière qu’on ne les reconnaissait plus. De ce côté-là, on te jugeait encore plus innocent que tous les enfants innocents qui s’imaginent de cornemuser sur les pipeaux ; or, si tu dis que Carnat ne te contente pas, lui qui fait danser si bien en mesure et qui mène ses doigts si subtilement, tu me donnes encore plus à penser que tu n’as pas l’oreille bonne.

— Oui, oui, répondit Joseph, tu as raison de me reprendre, car je dis des sottises, et je parle de ce que je ne sais pas. Or donc, bonne nuit, Tiennet ; oublie ce que je t’ai dit, car ça n’est pas ce que j’aurais voulu dire ; mais j’y penserai, pour tâcher de te le dire mieux une autre fois.

Et il s’en alla vitement, comme regrettant d’avoir parlé ; mais Brulette, qui sortait de chez nous avec ma sœur, l’arrêta, le ramena vers moi, et nous dit :