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Les Maîtres Sonneurs

pour le petit monde qui y nourrissait ses bêtes et qui n’a pu y rien acheter. C’était chemin et pâturage bien large, bien vert, et arrosé, à l’aventure, des belles eaux de la source, qui n’étaient point réglées et s’en allaient de ci et de là sur un herbage court, tondu à toute heure par les troupeaux et réjouissant à voir par son étendue.

Je me contentais de dire bonsoir à Joseph, quand il se leva et se mit à marcher à mon côté, cherchant à avoir conversation avec moi, et paraissant si agité que j’en fus inquiet.

— Qu’est-ce que tu as donc ? lui dis-je enfin, voyant qu’il parlait tout de travers et se tourmentait le corps de soupirs et de contorsions comme s’il eût passé dans une fourmilière.

— Tu me demandes ça ? dit-il avec impatience. Ça ne te fait donc rien ? Tu es donc sourd ?

— Qui ? quoi ? qu’est-ce que c’est ? m’écriai-je, pensant qu’il avait quelque vision, et ne me souciant pas d’en avoir ma part.

Puis j’écoutai, et saisis tout au loin le son d’une musette qui me parut n’avoir rien que de naturel.

— Eh bien, lui dis-je, c’est quelque cornemuseux qui revient d’une noce du côté de la Berthenoux ? En quoi est-ce que ça te gêne ?

Joseph répondit d’un air assuré :

— C’est la musette à Carnat, mais ce n’est point lui qui en joue… C’est quelqu’un qui est encore plus maladroit que lui !

— Maladroit ? Tu trouves Carnat maladroit sur la musette ?

— Maladroit de ses mains, non pas ! mais maladroit de son idée, Tiennet ! Oh, le pauvre homme ! Il n’est pas digne d’avoir le moyen d’une musette ! Et celui qui s’en essaye, à cette heure, mériterait que le bon Dieu lui retire son vent de la poitrine.

— Voilà des choses bien étranges que tu me dis, et je ne sais point où tu les prends. Comment peux-tu