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Les Maîtres Sonneurs

Quatrième veillée

Une chose me donna encore plus à penser par la suite des jours. C’est que l’on s’aperçut à l’Aulnières que Joset découchait de temps en temps.

On l’en plaisantait, s’imaginant qu’il avait une amourette ; mais on eût beau le suivre et l’observer, jamais on ne le vit s’approcher d’un lieu habité, ni rencontrer une personne vivante. Il s’en allait à travers champs et gagnait le large, si vite et si malignement, qu’il n’y avait aucun moyen de surprendre son secret. Il revenait au petit jour et se trouvait à son ouvrage comme les autres, et, au lieu de paraître las, il paraissait plus léger et plus content qu’à son habitude.

Cela fut observé par trois fois dans le courant de l’hiver, qui eut pourtant grande rigueur et longue durée cette année-là. Il n’y eût neige ou bise capable d’empêcher Joset de courir de nuit, quand l’heure était venue pour sa fantaisie. On s’imagina aussi qu’il était de ceux qui marchent ou travaillent dans le sommeil ; mais, de tout cela, il n’était rien, comme vous verrez.

Mêmement, la nuit de Noël, comme Véret le sabotier s’en allait faire réveillon chez ses parents à l’Ourouer, il vit sous l’orme Râteau, non pas le géant qu’on dit s’y promener souvent avec son râteau sur l’épaule, mais un grand homme noir qui n’avait pas bonne mine et qui marmottait tout bas quelque chose avec un autre homme moins grand et d’une figure un peu plus chrétienne. Véret n’eut pas absolument peur et passa assez près d’eux pour pouvoir écouter ce qu’ils se disaient. Mais dès que les deux autres l’eurent vu, ils se séparèrent ; l’homme noir dévalla on ne sait où, et son camarade, s’approchant de Véret, lui dit d’une voix qui lui parut tout étranglée :

— Où vas-tu donc comme ça, Denis Véret ?

Le sabotier commença de s’étonner, et, sachant qu’on