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Les Maîtres Sonneurs

— Cet âne et cette charrette ?

— Ah bon ! dit-il. Ma foi, je n’en sais rien, je n’ai pas songé à m’en enquérir. Ça doit être des Marchois ou des Champenois, car ça a un accent étranger ; mais j’étais si occupé de voir si cette jument a un bon coup de collier, que je ne me suis point intéressé à autre chose. De vrai, elle tire bien et n’est point rétive à la peine ; je crois qu’elle fera un bon service et que décidément je ne l’ai point surpayée.

Depuis ce temps-là (le voyage m’avait sans doute été bon), je pris le dessus et commençai à avoir goût au travail ; mon père m’ayant donné le soin de la jument, et puis celui du jardin, enfin celui du pré, je trouvai, petit à petit, de l’agrément à bêcher, planter et récolter.

Mon père était veuf depuis longtemps et se montrait désireux de me mettre en jouissance de l’héritage que ma mère m’avait laissé. Il m’intéressait donc à tous nos petits profits et ne souhaitait rien tant que de me voir devenir bon cultivateur.

Il ne fut pas longtemps sans reconnaître que je mordais à belles dents dans ce pain-là ; car si la jeunesse a besoin d’un grand courage pour se priver de plaisir au profit des autres, il ne lui en faut guère pour se ranger à ses propres intérêts, surtout quand ils sont mis en commun avec une bonne famille, bien honnête dans les partages et bien d’accord dans le travail.

Je restai bien un peu curieux de causette et d’amusement le dimanche ; mais on ne me le reprochait point à la maison, parce que j’étais bon ouvrier tout à fait le long de la semaine ; et, à ce métier-là, je pris belle santé et belle humeur, avec un peu plus de raison dans la tête que je n’en avais annoncé au commencement. J’oubliai les fumées d’amour, car rien ne rend si tranquille comme de suer sous la pioche, du lever au coucher du soleil ; et quand vient la nuit, ceux qui ont eu affaire à la terre grasse et lourde de chez nous, qui est la plus