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malade, et n’ayant pas sujet de me méfier de la bonne intelligence qu’il y avait entre eux au départ.

Il passa la nuit dehors, comme il faisait souvent ; et comme j’avais remarqué qu’il était parfois un peu jaloux de l’applaudissement qu’on donnait à mes vieilles chansons, je ne le voulais point gêner. Au matin, je sortis, encore un peu tremblant de fièvre, et j’appris, dans le bourg, qu’on avait ramassé une musette brisée au bord d’un fossé. Je courus pour la voir et la reconnus bien vite. Je me rendis à l’endroit où elle avait été trouvée, et, cassant la glace du fossé, j’y découvris son malheureux corps tout gelé. Il ne portait aucune marque de violence, et les autres sonneurs ont juré qu’ils l’avaient quitté, sans dispute et sans ivresse, à une lieue de là. J’ai en vain recherché les auteurs de sa mort. C’est un endroit sauvage où les gens de justice craignent le paysan, et où le paysan ne craint que le diable. Il m’a fallu partir en me contentant de leurs tristes et sots propos. Ils croient fermement en ce pays, ce que l’on croit un peu dans celui-ci, à savoir : qu’on ne peut devenir musicien sans vendre son âme à l’enfer, et qu’un jour ou l’autre, Satan arrache la musette des mains du sonneur et la lui brise sur le dos, ce qui l’égare, le rend fou et le pousse à se détruire. C’est comme cela qu’ils expliquent les vengeances que les sonneurs tirent les uns des autres, et ceux-ci n’y contredisent guère, ce qui leur est moyen de se faire redouter et d’échapper aux conséquences. Aussi les tient-on en si mauvaise estime et en si grande crainte, que je n’ai pu faire entendre mes plaintes, et que, pour un peu, si je fusse resté dans l’endroit, l’on m’eût accusé d’avoir moi-même appelé le diable pour me débarrasser de mon compagnon.

— Hélas ! dit Brulette en pleurant, mon pauvre Joset ! mon pauvre camarade ! Et qu’est-ce que nous allons dire à sa mère, mon bon Dieu ?

— Nous lui dirons, répliqua tristement le grand bûcheux,