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Première veillée

Je portais donc cette grande fillette et la regardais avec étonnement, car si elle avait la tête de plus que Brulette, on voyait bien, à sa figure, qu’elle n’était pas plus vieille.

Elle était blanche et menue comme un flambeau de cire vierge, et ses cheveux noirs, débordant d’un petit bonnet en mode étrangère, qui s’était dérangé dans son sommeil, me tombaient sur la poitrine et me pendaient quasiment jusqu’aux genoux. Je n’avais jamais rien vu de si bien achevé que son visage pâle, ses yeux bleu clair, bordés de soies très-épaisses, son air doux et fatigué, et mêmement un signe tout à fait noir qu’elle avait au coin de la bouche et qui rendait sa beauté très-étrange et difficile à oublier.

Elle semblait si jeune que mon cœur ne me disait rien à côté du sien, et ce n’était peut-être pas tant son manque d’années que la langueur de sa maladie qui me la faisait paraître si enfant. Je ne lui parlais point, et marchais toujours sans la trouver lourde, mais ayant du plaisir à la regarder, comme on en sent devant toute chose belle, que ce soit fille ou femme, fleur ou fruit.

Comme nous approchions de la seconde gâne, où son père et le mien recommençaient, l’un à tirer son cheval, l’autre à pousser sa roue, la fillette me parla en un langage qui me fit rire, vu que je n’en comprenais pas un mot. Elle s’étonna de mon étonnement, et, me parlant alors comme nous parlons :

— Ne vous ruinez pas le corps à me porter, dit-elle, je marcherai bien sans sabots : j’y suis aussi habituée que les autres.

— Oui, mais vous êtes malade, que je lui répondis, et j’en porterais bien quatre comme vous. Mais de quel pays êtes-vous donc, que vous parliez si drôlement tout à l’heure ?

— De quel pays ! dit-elle. Je ne suis pas d’un pays. Je suis des bois, voilà tout. Et vous, de quel pays que vous êtes donc ?