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— Il y a, dit un des garçons, voyant que Léonard avait honte de tout confesser, que nous n’avons jamais vu la personne du diable, et qu’aucun de nous ne souhaite faire sa connaissance.

— Oh ! oh ! leur dis-je, voyant que tous étaient soulagés par cet aveu et allaient dire comme lui, c’est donc du propre Lucifer qu’il retourne ? Eh bien, à la bonne heure ! Je suis trop bon chrétien pour le redouter ; je donne mon âme à Dieu, et je vous réponds de prendre aux crins, à moi tout seul, l’ennemi du genre humain, aussi résolument que je prendrais un bouc à la barbe. Il y a assez longtemps qu’il porte dommage à ceux qui le craignent : m’est avis qu’un bon gars qui l’écornerait lui ôterait la moitié de sa malice, et ça serait toujours autant de gagné.

— Ma foi, dit Léonard, honteux de sa crainte, si tu le prends comme ça, je n’y reculerai pas, et si tu lui casses les cornes, je veux, à tout le moins, tenter de lui arracher la queue. On dit qu’elle est bonne, et nous verrons bien si elle est d’or ou de chanvre.

Il n’y a si bon remède contre la peur que la plaisanterie, et je ne vous cache pas qu’en mettant la chose sur ce ton-là, je n’étais point du tout curieux de me mesurer avec Georgeon, comme chez nous on l’appelle. Je ne me sentais peut-être pas plus rassuré que les autres ; mais, pour Thérence, je me serais jeté en la propre gueule du diable. Je l’avais promis ; le bon Dieu lui-même ne m’eût point détourné de mon dessein.

Mais c’est mal parler. Le bon Dieu, tout au contraire, me donnait force et confiance, et, tant plus je me sentis angoissé dans cette nuit-là, tant plus je pensai à lui, et requis son aide.

Quand les autres camarades nous virent décidés, Léonard et moi, ils nous suivirent. Pour rendre la chose plus sûre, je retournai au cabaret, comptant y trouver d’autres amis qui, sans savoir de quoi il s’agissait, nous suivraient comme en partie de plaisir, et nous