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— Comme vous voudrez, répondit Carnat. Je la dirai comme je l’ai vue de mes yeux, sans entendre les discours qui s’y faisaient, mais vous en donnerez l’explication comme vous pourrez. Vous saurez donc, vous autres, que, le dernier jour du mois passé, Joseph, s’étant levé de bon matin pour porter un mai à la porte de Brulette, et y ayant vu un gros gars d’environ deux ans qui ne peut être que le sien, le voulut réclamer sans doute, puisqu’il le prit pour l’emporter et qu’il s’ensuivit une dispute, où son ami le bûcheux bourbonnais, le même qui est là-haut avec son père, et qui épouse la Brulette dimanche qui vient, lui porta de bons coups, et puis embrassa la mère et l’enfant ; après quoi Joset l’ébervigé fut mis en douceur à la porte et n’y est point retourné du depuis. Or, voilà la plus belle histoire que j’aie jamais vue. Arrangez-la comme vous voudrez. C’est toujours un enfant qui se voit disputé par deux pères, et une fille qui, au lieu de se donner au premier enjôleur, le chasse à coups de pied comme indigne ou incapable d’élever l’enfant de ses œuvres.

Au lieu de répondre, comme il s’en était vanté, à cette accusation, le père Nicolas était retourné vers la cheminée, et parlait bas, mais vivement, avec Benoît. Joseph était si saisi de voir interpréter de la sorte une aventure dont, après tout, il ne pouvait dire le fin mot, qu’il cherchait autour de lui quelqu’un pour l’y aider, et la Mariton étant sortie de la chambre comme une folle, il ne restait que moi pour rembarrer Carnat. Son discours avait occasionné de l’étonnement, et personne ne songeait à défendre Brulette, contre laquelle il y avait toujours un gros dépit. J’essayai de prendre son parti ; mais Carnat m’interrompit aux premiers mots.

— Oh ! tant qu’à toi, le cousin, fit-il, personne ne t’accuse ; tu peux y être de bonne foi, encore qu’on sache que tu t’es entremis pour attraper le monde en apportant au pays l’enfant déjà élevé dans le Bourbonnais.