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Les Maîtres Sonneurs

pu rien mettre de côté, et il faut croire que je ne suis plus assez jeune pour plaire, puisque je ne trouve point à me remarier. Eh bien, s’il en est ainsi, la volonté de Dieu se fasse ! Je suis toujours assez jeune pour travailler, et puisque m’y voilà, apprenez, mon voisin, que l’aubergiste de Saint-Chartier cherche une servante ; il paye un bon gage, trente écus par an ! et il y a les profits, qui montent environ à la moitié. Avec ça, forte et réveillée comme je me sens d’être, en dix années, j’aurai fait fortune, je me serai donné de l’aise pour mes vieux jours, et j’en pourrai laisser à mon pauvre enfant. Qu’est-ce que vous en dites ?

Le père Brulet pensa un peu et répondit :

— Vous avez tort, ma voisine ; vrai, vous avez tort !

La Mariton songea aussi un peu, et, comprenant bien l’idée du vieux :

— Sans doute, sans doute, dit-elle. Une femme, dans une auberge de campagne, est exposée au blâme ; et quand même elle se comporte sagement, on n’y croit point. Pas vrai, voilà ce que vous dites ? Eh bien, que voulez-vous ? Ça m’ôtera tout à fait la chance de me remarier ; mais ce qu’on souffre pour ses enfants, on ne le regrette point, et mêmement on se réjouit quasiment des peines.

— C’est qu’il y a pis que des peines, dit mon oncle, il y a des hontes, et ça retombe sur les enfants.

La Mariton soupira :

— Oui, dit-elle, on est journellement exposée à des affronts dans ces maisons-là ; il faut toujours se garer, se défendre Si on se fâche trop et que ça repousse la pratique, les maîtres ne sont point contents.

— Mêmement, dit le vieux, il y en a qui cherchent des femmes de bonne mine et de belle humeur comme vous pour achalander leur cave, et il ne faut quelquefois qu’une servante bien hardie pour qu’un aubergiste fasse de meilleures affaires que son voisin.

— Savoir ! reprit la voisine. On peut être gaie,