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le monde va bien et moi aussi. » Et il disait cela d’une voix qui sonnait bien creux.

Mon père, qui n’y va point par quatre chemins, lui a commandé de parler ; mais lui, d’un ton raide : « Je vous dis, mon maître, que tous nos amis de là-bas sont contents, et que si vous me voulez accorder votre fille en mariage, je serai aussi content que les autres. »

Nous avons pensé d’abord qu’il devenait fou, et ne lui avons répondu qu’en riant, encore que son air nous donnât de l’inquiétude ; mais il y revint sérieusement deux jours après et me demanda à moi-même si j’avais de l’amitié pour lui. Je n’eus point d’autre vengeance à faire d’une offre si tardive que de lui répondre : « Oui, Joseph, j’ai de l’amitié pour vous, comme Brulette en a. »

Il serra la bouche, baissa la tête et n’y revint pas.

Mais mon frère l’ayant pris dans un autre moment, en a eu cette réponse : « Huriel, je ne pense plus à Brulette, et te prie de ne m’en jamais parler. »

Il n’y a pas eu moyen d’en tirer davantage, sinon qu’il voulait, aussitôt qu’il serait reçu maître sonneur, aller pratiquer un bout de temps en son pays, pour montrer à sa mère qu’il était en état de la soutenir ; après quoi, il irait se fixer avec elle dans la Marche, ou dans le Bourbonnais si je voulais être sa femme.

Alors il y a eu entre mon père, mon frère et moi de grandes explications. Tous deux me voulaient faire confesser que j’y consentirais peut-être ; mais Joseph y revenait trop tard pour moi, et j’avais fait trop de réflexions à son sujet. J’ai refusé tranquillement, ne sentant plus rien pour lui, et sentant bien aussi qu’il n’avait jamais rien eu pour moi. Je suis fille trop fière pour vouloir être un remède contre le dépit. J’ai pensé que vous lui aviez écrit pour lui ôter l’espérance…

— Non, dit Brulette, je ne l’ai point fait, et c’est tout bonnement grâce à Dieu qu’il m’a oubliée. C’est