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du monde. Le père et la fille n’avaient donc pas tout le chagrin qu’on eût souhaité leur faire, et mon père, à moi, ainsi que le restant de la famille, qui étaient chrétiennement sages, me donnaient le conseil et l’exemple de ne point leur en tourmenter l’esprit, disant que la vérité se ferait jour et qu’un temps viendrait où les mauvaises langues seraient punies.

Le temps, qui est aussi un grand balayeur, commençait à emporter de lui-même cette méchante poussière. Brulette eût méprisé d’en tirer vengeance et n’en voulut jamais avoir d’autre que de recevoir très-froidement les avances qui lui furent faites pour revenir en ses bonnes grâces. Il se trouva, comme il arrive toujours, qu’elle eut des amis parmi ceux qu’elle n’avait pas eu pour galants, et ces amis, sans intérêt et sans dépit, la défendirent au moment qu’elle n’y comptait pas. Je ne parle pas de la Mariton, qui lui était comme une mère, et qui, dans son cabaret, faillit, plus d’une fois, jeter les pots à la tête des buveurs, quand ils se permettaient de chanter la Josette, mais de personnes qu’on ne pouvait accuser d’aller à l’aveugle et qui firent honte aux affronteurs.

Brulette s’était donc rangée, avec peine d’abord, mais peu à peu avec contentement, à une vie plus tranquille que par le passé. Elle était fréquentée de personnes plus raisonnables et venait souvent à la maison avec son Charlot qui, l’hiver passé, perdit les rougeurs de sa mine échauffée et prit une humeur plus avenante. L’enfant n’était pas tant laid que bourru, et quand la douceur et l’amitié de Brulette l’eurent, à fine force, apprivoisé, on s’aperçut que ses gros yeux noirs ne manquaient pas d’esprit, et que, quand sa grande bouche voulait bien rire, elle était plus drôle que vilaine. Il avait passé par une gourme dont Brulette, autrefois si dégoûtée, l’avait pansé et soigné si bravement, qu’il était devenu l’enfant le plus sain, le plus ragoûtant et le plus proprement tenu qu’il y