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avec elle, tant qu’il sera de la confrérie des muletiers, a, de lui-même, fait ce qu’il devait faire en s’éloignant d’elle pour longtemps. Je peux donc avoir espérance de me revenir présenter à Brulette, un peu plus méritant que je ne le suis. À cette heure, je ne me puis souffrir ici, car je sens que je n’y apporte rien de plus que par le passé. Il a quelque chose dans l’air et dans les paroles de chacun qui me dit :

« Tu es malade, tu es maigre, tu es laid, tu es faible, et tu ne sais rien de bon ni de neuf pour nous intéresser à toi ! » Oui, Tiennet, ce que je te dis est certain : ma mère a eu comme peur de ma figure en me voyant paraître, et elle a versé tant de larmes en m’embrassant, que la peine y était pour plus que la joie. Ce soir encore, Brulette a eu l’air embarrassé en me voyant chez elle, et son grand-père, tout brave homme et bon ami qu’il est pour moi, a paru inquiet si j’allongerais ou non sa veillée. Ne dis pas que je me suis imaginé tout cela. Comme tous ceux qui parlent peu, je vois beaucoup. Mon temps n’est donc pas venu : il faut que je parte, et le plus tôt sera le mieux.

— Je crois, lui dis-je, qu’il faudrait au moins prendre quelques journées pour te reposer ; car m’est avis que tu veux t’éloigner beaucoup d’ici, et je ne trouve pas de bonne amitié, que tu nous mettes sur ton compte dans des inquiétudes que tu nous pourrais épargner.

— Sois tranquille, Tiennet, répondit-il. J’ai la force qu’il faut, et ne serai plus malade. Je sais une chose, à présent, c’est que les corps chétifs, à qui Dieu n’a pas donné grands ressorts, sont pourvus d’un vouloir qui les mène mieux que la grosse santé des autres. Je n’ai rien inventé quand je vous ai dit là-bas que j’avais été comme renouvelé en voyant Huriel se battre si hardiment ; et que, tout éveillé, dans la nuit, j’avais ouï sa voix me dire : « Sus ! sus ! je suis un homme, et tant que tu n’en seras pas un, tu ne compteras pour rien. » Je me veux donc départir de ma pauvre nature,