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s’il ne nous eût suivis pour porter secours aux blessés, et les muletiers étaient tentés de le renvoyer sans lui rien dire ; mais le chef a répondu de lui, et moi, quand j’aurais dû y risquer mon cou, je ne voulais pas que cet homme fût enterré comme un chien, sans prières chrétiennes.

» À présent, c’est à la garde de Dieu. Tu comprends donc, de reste, qu’un homme menacé, comme je suis, d’une mauvaise affaire, ne peut pas, de longtemps, songer à courtiser une fille aussi recherchée et aussi précieuse que Brulette. Seulement, tu peux bien, pour l’amour de moi, ne pas lui dire où j’en suis. Je veux bien qu’elle m’oublie, mais non qu’elle me haïsse ou me craigne.

— Elle n’en aurait pas le droit, répondis-je, puisque c’est pour l’amour d’elle…

— Ah ! dit Huriel en soupirant et en passant sa main sur ses yeux, voilà un amour qui me coûte cher !

— Allons, allons, lui dis-je, du courage ! Elle ne saura rien, tu peux compter sur ma parole ; et tout ce que je pourrai faire pour qu’à l’occasion elle reconnaisse ton mérite, je le ferai bien fidèlement.

— Doucement, doucement, Tiennet, reprit Huriel ; je ne te demande pas de te mettre de côté pour moi comme je m’y suis mis pour Joseph. Tu ne me connais pas autant, tu ne me dois pas la même amitié, et je sais ce que c’est que de pousser un autre en la place qu’on voudrait occuper. Tu en tiens aussi pour Brulette, et il faudra que, sur trois prétendants que nous sommes, deux soient justes et raisonnables quand le troisième sera préféré. Encore ne savons-nous point si nous ne serons pas pillés par un quatrième. Mais, quoi qu’il en advienne, j’espère que nous resterons amis et frères tous les trois.

— Il faut me retirer de l’ordre des prétendants, répondis-je en souriant sans dépit. J’ai toujours été le