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je n’eusse point raconté tout haut l’histoire du bois de la Roche, Huriel ne se serait peut-être pas si bien souvenu du serment qu’il avait fait à Brulette de la venger, et que si je ne me fusse point porté le premier son défenseur devant les muletiers et les anciens de la forêt, Huriel ne se serait pas tant pressé d’en avoir l’honneur avant moi vis-à-vis d’elle.

Tourmenté de ces idées, je ne pus m’empêcher de les dire à Huriel et de m’accuser devant lui, comme Brulette s’était accusée devant Thérence.

— Mon cher ami Tiennet, me répondit le muletier, tu es un bon cœur et un brave garçon. Je ne veux point que tu gardes du trouble en ta conscience, pour une chose que Dieu, au jour du jugement, n’attribuera ni à toi ni peut-être à moi. Le frère Nicolas a raison, il est le seul juge qui puisse rendre bonne justice, parce qu’il sait les choses comme elles sont. Il n’a pas besoin d’appeler des témoins et de faire enquête de la vérité. Il lit dans le fin fond des cœurs, et il sait bien que le mien n’avait juré ni comploté mort d’homme, au moment où j’ai pris un bâton pour corriger ce malheureux. Ces armes-là sont mauvaises ; mais elles sont les seules que nos coutumes nous permettent en pareil cas, et ce n’est pas moi qui en ai inventé l’usage. Certes, mieux vaudrait la seule force des bras et le seul office des poings, comme nous y avons eu recours une nuit, dans ton pré, à propos de mon mulet et de ton avoine ; mais sache qu’un muletier doit être aussi brave et aussi jaloux de son renom d’honneur que les plus grands messieurs portant l’épée. Si j’avais avalé l’injure de Malzac sans en chercher réparation, j’aurais mérité d’être chassé de ma confrérie. Il est bien vrai que je n’ai pas cherché cela de sang-froid, comme on doit le faire. J’avais rencontré, hier matin, ce Malzac seul à seul, dans ce même bois de la Roche, où je travaillais tranquillement, sans plus songer à lui. Il m’avait encore molesté de ses sottes paroles, prétendant