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du jour, sans avoir trouvé ni Thérence ni personne à qui parler.

Comme j’en avais assez et ne conservais plus espoir de m’utiliser, je rentrai sous bois, et, coupant tout à travers, je vis enfin, dans un endroit très-sauvage, sous un gros chêne, quelque chose qui me parut être quelqu’un. Le petit jour grisonnait jusque sur les buissons, et je m’avançai sans bruit jusqu’à portée de reconnaître le froc du frère carme. Ce pauvre homme, que j’avais soupçonné dans mon esprit, était bien sagement et dévotement agenouillé, et faisait ses prières sans paraître penser à mal.

Je m’approchai en toussant pour l’avertir et ne le point effrayer ; mais ce n’était pas de besoin, car ce moine était un compère, ne craignant que Dieu, et pas du tout le diable ni les hommes.

Il leva la tête, me regarda sans étonnement, puis renfonçant sa figure sous son capuchon, se remit à marmonner tout bas ses orémus, et je ne voyais que le bout de sa barbe qui dansait à chaque parole, comme celle d’une chèvre qui croque du sel.

Quand il me parut avoir fini, je lui souhaitai bonnes matines, espérant avoir de lui quelque nouvelle ; mais il me fit signe de me taire, se leva, ramassa sa besace, regarda bien la place où il s’était agenouillé, et avec son pied quasi nu, releva l’herbe et nivela le sable qu’il avait foulés ; puis, il m’emmena à une petite distance et me dit à voix couverte :

— Puisque vous savez ce qui en est, je ne suis pas fâché de vous parler avant que je reprenne ma tournée.

Le voyant en humeur de causer, je me gardai de le questionner, ce qui l’eût rendu peut-être plus méfiant ; mais, au moment qu’il ouvrait la bouche, Huriel se montra devant nous et parut si surpris et même contrarié de me voir là, que j’en fus embarrassé de mon côté, comme si j’étais pris en faute.

Il faut dire aussi qu’Huriel m’eut peut-être effrayé si