de chez nous un peu de toilette, et qui charmait tous les yeux par sa bonne mine et ses jolis airs, la regardait danser. Je me démenais à régaler tout le monde de mes rafraîchissements, et comme je tenais à bien faire les choses, je n’y avais rien épargné. Il m’en coûta bien trois bons écus de ma poche, mais je n’y ai jamais eu regret, tant on se montra sensible à mes honnêtetés.
À l’heure de la vesprée, tout allait au mieux, et chacun disait que, de mémoire d’homme, les gens des bois ne s’étaient si bien divertis entre eux. Il y vint même un frère quêteur, qui était de passage, et qui, sous prétexte de mendier pour son couvent, remplit fort bien son estomac, et buvait aussi rude que bûcheux ou fendeux qu’il y eût ; ce qui beaucoup me divertissait, encore que ce fût à mes dépens ; car c’était la première fois que je voyais boire un carme, et j’avais toujours ouï dire que, pour lever le coude, c’étaient les premiers hommes de la chrétienté.
J’étais en train de lui remplir sa tasse, m’ébahissant de ne le pouvoir soûler de boire, quand il se fit dans la danse un grand dérangement et un grand vacarme. Je sortis de la ramée que je m’étais bâtie et où je recevais le monde altéré, pour regarder ce que c’était, et vis une bande de trois cents, et peut-être quatre cents mulets qui suivaient un clairin, lequel s’était mis en tête de traverser l’assemblée, et qui, repoussé d’un chacun à beaux coups de pied et de trique, s’en allait, épeuré, sautant de droite et de gauche ; en sorte que les mulets, qui sont animaux têtus et très-durs de leurs os, accoutumés de trancher où le clairin tranchait, avaient pris leur passage emmi les danseurs, s’embarrassant peu qu’on leur battît en grange sur les reins, bousculant tout le monde, et allant devant eux comme ils eussent fait en un champ de chardons.
Ces bêtes n’allaient pas assez vite, chargées qu’elles étaient, pour qu’on n’eût point le temps de s’en gârer. Il n’y eut donc personne de foulé ni de blessé ; seulement,