Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
112
Les Maîtres Sonneurs

Alors, j’ai fait jurer à Joset qu’il prendrait au moins patience jusqu’à mon retour, et je suis venu. Père Brulet, décidez de ce qu’il faut faire, et vous, Brulette, consultez votre cœur.

— Maître Huriel, dit Brulette en se levant, j’irai, encore que je ne sois point la fiancée de Joseph, comme vous le dites, et que rien ne m’oblige envers lui, sinon que sa mère m’a nourrie de son lait et portée en ses bras. Mais pourquoi pensez-vous que ce jeune homme est épris de moi, puisque, aussi vrai que voilà mon grand-père, il ne m’en a jamais dit le premier mot ?

— Il m’avait donc bien dit la vérité ? s’écria Huriel, comme charmé de ce qu’il entendait ; mais, se raccoisant aussitôt : Il n’en est pas moins vrai, dit-il, qu’il en peut mourir, d’autant plus que l’espoir ne le soutient pas, et je dois ici plaider sa cause et dire ses sentiments.

— En êtes-vous chargé ? dit Brulette avec fierté, et aussi avec un peu de dépit contre le muletier.

— Il faut que je m’en charge, commandé ou non, répliqua Huriel. J’en veux avoir le cœur net… à cause de lui qui m’a confié sa peine et demandé mon secours. Voilà donc comme il me parlait : « J’ai voulu me donner à la musique, autant par amour de la chose que par amour de ma mie Brulette. Elle me considère comme son frère, elle a toujours eu pour moi de grands soins et une bonne pitié ; mais elle n’en a pas moins fait attention à tout le monde, hormis à moi ; et je ne l’en peux blâmer. Cette jeunesse aime la braverie et tout ce qui rend glorieux. C’est son droit d’être coquette et avantageuse. J’en ai le cœur fâché, mais c’est la faute du peu que je vaux si elle donne ses amitiés à de plus vaillants que moi. Tel que me voilà, ne sachant ni piocher rude, ni parler doux, ni danser, ni plaisanter, ni même chanter, me sentant honteux de moi et de mon sort, je mérite bien qu’elle me regarde comme le dernier de ceux qui pourraient prétendre à elle. Eh