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Les Maîtres sonneurs

— C’est, lui répondis-je en riant, l’homme noir pour qui Joset s’est donné au diable, et qui vous a fait peur, un soir de ce printemps que vous étiez en ma maison.

— Non, non, tu te moques ! Dis-moi son nom, son état, son pays ?

— Non pas, Brulette ! Tu dis qu’il faut oublier les absents, et j’aime autant ne pas te faire changer d’avis.

Le monde de la paroisse s’étonna bien de voir le cornemuseux parti comme par miracle, sans qu’on eût songé à s’informer de lui. Quelques-uns l’avaient bien questionné ; mais à l’un il avait dit être Marchois et s’appeler d’une façon, à l’autre il avait dit autrement, et nul ne savait la vérité. Je leur jetai encore un nom différent pour les dérouter, non pas qu’Huriel le gâteux de blés eût rien à craindre de personne, après qu’Huriel le cornemuseux avait si bien monté la tête à tout le monde, mais pour me divertir, et aussi pour faire enrager Brulette. Puis, quand on me demanda d’où je le connaissais, je répondis, en me moquant, que je ne le connaissais pas ; qu’il lui avait pris fantaisie, en arrivant, de m’accoster comme un ami, et que j’avais répondu de même par manière de plaisanter.

Cependant, Brulette m’ayant questionné à fond, force me fut de lui dire ce que j’en savais, et encore que ce ne fût pas grand’chose, elle regretta de l’entendre, car elle avait, comme beaucoup de gens du pays, un grand préjugé contre les étrangers, et contre les muletiers principalement.

Je pensai que cette répugnance lui ferait vitement oublier Huriel, et si elle y songea, elle ne le montra guère, car elle continua la joyeuse vie qui lui plaisait, sans marquer de préférence à personne, disant que, voulant être femme aussi fidèle qu’elle était fille insoucieuse, elle avait le droit de prendre son temps et d’étudier son monde ; et tant qu’à moi, me répétant souvent qu’elle ne voulait que mon amitié fidèle et tranquille, sans idée de mariage.