Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
91
Huitième veillée

Huitième veillée

Je fis ce qui m’était commandé, laissant, à contre-cœur, Brulette seule avec le muletier, dans un endroit de la place déjà bien embruni par la nuit tombante. Quand je revins, portant la musette pliée et démontée sous ma blouse, je les retrouvai au même coin, devisant avec beaucoup d’action, et Brulette me dit : — Tiennet, je te prends à témoin que je ne suis point consentante à donner à cet homme-là le gage qu’il a pendu à son oreille. Il prétend ne me le point rendre, parce que, de fait, c’est propriété pour Joset ; mais il dit que Joset ne le lui reprendra pas, et encore que ce soit une petite chose qui n’a pas la conséquence de dix sous vaillant, il ne me plaît pas d’en faire don à un étranger. Je n’avais pas plus de douze ans quand je l’ai baillé à Joset, et il faudrait être fin pour y entendre malice : mais puisqu’on veut qu’il y en ait, ce m’est une raison de plus pour le refuser à un autre.

Il me sembla que Brulette se donnait trop de mal pour enseigner au muletier qu’elle n’était point l’amoureuse de Joset, et que, pour sa part, le muletier était content de lui trouver le cœur libre d’engagements. En tout cas, il ne se gêna guère pour continuer à la courtiser devant moi.

— Mignonne, lui dit-il, vous avez tort de vous défier. Je ne veux faire montre de vos dons à personne, encore qu’il y eût de quoi être glorieux s’ils étaient miens ; mais je reconnais ici, devant Tiennet, que vous ne m’encouragez point à vous aimer. Dire que cela m’en empêchera, je n’en réponds pas ; mais, à tout le moins, vous êtes forcée de souffrir que je me souvienne de vous, et que j’estime ce gage de dix sous vaillant à mon oreille, plus qu’aucune autre chose que j’aie jamais convoitée. Joseph est mon ami, et je sais qu’il vous