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Septième veillée

pour l’amour ; mais je n’en témoignai rien, et j’avoue qu’en dépit de tout, je me coiffais pour mon compte des grands talents et des belles façons du muletier.

La danse finie, il vint à moi, tenant Brulette par le bras et me disant :

— C’est à ton tour, mon camarade, et je ne peux pas te faire plus grand remercîment que de te rendre cette jolie danseuse. C’est une vraie beauté de mon pays, et, à cause d’elle, je fais réparation à la race berrichonne ; mais pourquoi finir sitôt la fête ? Est-ce qu’il n’y a pas, dans votre bourg, une autre musette que celle de ce vieux chagriné ?

— Si fait, dit vivement Brulette à qui l’envie de danser encore fit échapper le secret qu’elle eût voulu garder ; mais, tout aussitôt, elle se reprit en rougissant, et ajouta. Du moins, il y a des pipeaux et des porchers qui en savent jouer tant bien que mal.

— Fi ! des pipeaux ! dit le muletier ; si on vient à rire, on les avale, et ça fait tousser. J’ai la bouche trop grande ; pour ces instruments-là, et c’est pourtant moi qui veux vous faire danser, gentille Brulette ; car c’est votre nom, je l’ai entendu, dit-il encore en s’éloignant un peu avec elle et moi ; et je sais qu’il y a chez vous une musette belle et bonne, venant du Bourbonnais, et appartenant à un certain Joseph Picot, votre ami d’enfance, votre camarade de première communion.

— Oh ! oh ! d’où savez-vous cela ? dit Brulette bien confondue. Vous connaissez donc notre Joseph ? Et peut-être pourriez-vous nous dire où il a passé ?

— En êtes-vous en peine ? dit Huriel en l’observant.

— Si fort en peine que je vous remercierais, d’un grand cœur, de m’en donner nouvelles.

— Eh bien, je vous en donnerai, mignonne, mais pas avant que vous m’ayez remis sa musette, que je suis chargé de lui porter au pays où il est maintenant.

— Quoi ? dit Brulette, il est donc déjà bien éloigné ?

— Assez pour ne pas avoir envie de revenir.