Huriel reprit sa marche bien allègrement sans se ressentir de rien ; pour moi, je fus forcé de rester couché environ une semaine, car je crachais le sang et je me sentais l’estomac tout décroché. Joseph me vint visiter et s’étonna de me voir ainsi ; mais, par mauvaise honte, je ne lui voulus point raconter mon aventure, voyant que maître Huriel, en lui parlant de moi, ne lui avait pas mentionné de quelle manière nous nous étions expliqués.
Il y eut grand étonnement au pays pour le dommage des blés de l’Aulnières, et la piste des mulets sur nos chemins fut une chose imaginante.
En remettant à mon beau-frère l’argent que j’avais si durement gagné pour lui, je lui racontai le tout, mais sous le secret ; et comme c’était un bon gars bien prudent, il n’en fut rien ébruité.
Cependant Joseph avait caché sa musette au logis de Brulette, et n’en pouvait faire usage, pour ce que, d’une part, la rentrée des foins ne lui en laissa pas le temps, et que, de l’autre, Brulette craignant la malice de Carnat, fit de son mieux pour qu’il renonçât à son idée.
Joseph feignit de se soumettre ; mais il nous parut bientôt qu’il manigançait un nouveau plan, et qu’il songeait de se louer dans une autre paroisse où il espérait d’avoir ses coudées franches.
Aux approches de la Saint-Jean d’été, il ne s’en cacha plus et avertit son maître de se procurer un autre laboureur ; mais il ne fut jamais possible de lui faire dire où il voulait aller ; et, comme il avait coutume de dire : Je ne sais pas, à tout ce qu’il voulait taire, nous crûmes que véritablement il s’en allait à la loue comme les autres, sans avoir rien d’arrêté dans son vouloir.
Comme la foire aux chrétiens est grande fête à la ville, Brulette y alla pour danser, et moi aussi. Nous pensions y trouver Joseph et savoir, à la fin de la journée, pour quel maître et pour quel endroit il se