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Les Maîtres Sonneurs

ramenez-vous, pas au plus vite sans rien dire, quand vous voyez paraître les gardes ? Et s’ils vous font procédure, ne pestez-vous contre eux et contre la loi ? Et si vous pouviez, sans danger, les tenir dans quelque bon coin, n’est-ce pas sur leurs épaules que vous payeriez l’amende à beaux coups de trique ? Tenez ! c’est par couardise ou par force que vous respectez la règle, et c’est parce que nous y échappons que vous nous blâmez, par jalousie des franchises que nous savons prendre !

— Je ne peux pas goûter votre morale étrangère, Huriel ; mais nous voilà bien loin de la musique. Pourquoi raillez-vous ma chanson ? Est-ce que vous prétendez en savoir de meilleures ?

— Je ne prétends rien, Tiennet ; mais je te dis que la chanson, la liberté, les beaux pays sauvages, la vivacité des esprits, et, si tu veux aussi, l’art de faire fortune sans devenir bête, tout ça se tient comme les doigts de la main ; je te dis que crier n’est pas chanter, et que vous avez beau beugler comme des sourds dans vos champs et dans vos cabarets, ça ne fait pas de la musique. La musique est chez nous, elle n’est pas chez vous. Ton ami Joset l’a bien senti, lui qui a les sens plus légers que toi ; car, pour toi, mon petit Tiennet, je vois bien que je perdrais mon temps à t’en vouloir montrer la différence. Tu es un franc Berrichon, comme un moineau franc est un moineau franc, et ce que tu es à cette heure, tu le seras dans cinquante ans d’ici ; ton crin aura blanchi, mais ta cervelle n’aura pas pris un jour.

— Pourquoi me juges-tu si sot ? repris-je un peu mortifié.

— Sot ? Pas du tout, dit-il. Franc de ton cœur et fin de ton intérêt, tu l’es et le seras ; mais vivant de ton corps et léger de ton âme, tu ne saurais jamais l’être.

Voici pourquoi, Tiennet, dit-il encore en me montrant