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dommage que vous n’en soyez point mort, on vous aurait pardonné tout à fait.

JEAN.

Ça, c’est bien honnête de votre part ; mais, puisque j’ai pas eu l’esprit d’en mourir, faut me pardonner vivant. J’ai bien fait tout ce qu’il fallait pour me faire assommer. Voyons ! votre fille est aussi honnête ce soir comme elle était ce matin. Tout le monde saura qu’elle était dans la maison de ma sœur, avec ma sœur, et c’est pas parce qu’un dadais comme Jordy et deux ou trois autres imbéciles y entendront malice, que les gens raisonnables lui donneront du blâme.

GERMINET.

Vous êtes grand homme d’esprit, Jean Robin, et vous savez arranger les mots à votre convenance. Mais, moi, je suis pas un malin, je suis un homme simple, un pauvre cabaretier, le dernier quasiment du village. Je sais pas m’expliquer comme vous ; je parle et je pense à la mode des anciens, et je vous dis la chose comme elle est : ma fille s’en relèvera pas, elle est chansonnée ; c’est fini ! une chanson, voyez-vous, ça s’oublie pas. Dans deux cents ans d’ici… peut-être plus, on chantera la belle Gervaise et son père Lustucru dans tous les cabarets du pays. On sera tous morts, la honte en sera toujours vivante. Mais on ne chantera plus rien chez moi. J’vas vendre la maison, et, de c’t’affaire-là, me voilà ruiné, obligé d’aller chercher mon pain avec ma fille. Serez-vous ben fier, quand vous nous verrez passer, la besace sur l’épaule ?

JEAN.

Ça se peut pas, je veux pas de ça ! Voyons, père Germinet, quelle réparation me demandez-vous ?

GERMINET.

Si vous le savez pas, Jean, j’ai pas à vous l’apprendre. C’est que vous ne voulez point le savoir.

JEAN.

Le mariage ? J’entends bien.

GERMINET.

Dame !