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JEAN.

Ah ! si tu veux te fâcher, ça me va ! Je ne suis pas de bonne humeur, je t’en avertis, et, si tu veux des vérités, nous allons nous en dire. (Il frappe du poing sur la table.)

BLANCHON, frappant aussi.

On peut s’en dire tranquillement, et la vérité que je te dis, c’est que j’ai eu tort de faire comme tu fais. J’aurais peut-être ben mieux fait de me couper les deux bras, la tête et les deux jambes avec.

JEAN.

Alors, si tu penses ça, et je sais que tu l’as pensé plus d’une fois, tu n’en es que plus blâmable de t’être donné au libertinage… Puisque t’avais envie d’être sage, fallait savoir te garder. T’as pas été plus fort ni plus franc que ces jeunes filles qui ne veulent ni céder ni se défendre, et qui souhaitent qu’on les perde malgré elles.

BLANCHON.

Eh bien, toi qu’as tant d’esprit et de raisonnement, pourquoi que tu m’as donné l’exemple du mal ?

JEAN.

Oh ! moi, c’est différent.

BLANCHON.

Ah ! c’est différent ?

JEAN.

Oui, c’est différent. J’aime le péché, moi ! Je l’aime comme le poisson aime l’eau et comme le diable aime le feu !… J’y ai marché tout droit et bride avalée, du jour où j’ai été lâché. J’avais plus ni père ni mère, personne à ménager, de l’argent devant moi pour longtemps, de la santé pour quatre et du courage pour dix. J’aimais le vin, le jeu, le bruit, les femmes et la bataille. Je me sentais bâti pour porter une vie enragée et je la porte au mieux ; et je ne veux souffrir en moi ni regret ni fatigue, ni crainte ni souci. V’la la différence entre toi et moi. Qu’est-ce que t’as encore à dire ?

BLANCHON.

Moi, rien ; je garde mon idée… tu la comprendrais pas.