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des bêtises. Quand on est sûr de ça comme je le suis à présent, quand on sait qu’il faut tromper ou être trompé, mener ou être surmené, commander rude ou filer doux… on devient méfiant et sournois en diable ; et, à force de se méfier, on devient fourbe et sans pitié, car il faut être comme ça, ou se retirer des amours. Si on doit se laisser démonter par les reproches, les larmes et les menaces, autant vaut céder tout de suite et se mettre une bonne fois la femme et les enfants sur les bras.

BLANCHON.

V’là qu’est raisonné comme un homme de première force ! Pour ce qui est du raisonnement, y a pas de raisonneur pour raisonner comme toi. Oui, le diable me confonde ! je voudrais être seulement un quart d’heure dans ta peau de païen pour savoir raisonner comme tu raisonnes.

JEAN.

Eh ben, mon pauvre Blanchon, moi, je consentirais bien à changer avec toi pour tout à fait ; car d’être comme ça sur la défensive, à batailler avec soi-même, c’est pas un état. T’as encore des illusions, toi ! et, moi qui n’en ai plus la miette, y a des jours où je m’amuse de la vie à peu près comme une miche derrière un buffet… Mais faut pas penser à ça, ça rend triste !

BLANCHON.

Non ; faut pas penser à ça. Je sais pas ce que c’est que tu dis : des défensives, des illusions derrière un buffet, mais ça fait rien ; quand t’es pas gai, je deviens malade. Faut rire, faut s’étourdir, faut boire !

JEAN.

Non ! fau’ aimer encore ! peut-être que le nouveau fera oublier l’ancien. La Gervaise, vois-tu, c’est pas tout à fait si facile que les autres.

BLANCHON.

Je crois ben que c’est pas du tout facile, depuis le temps que tu tournes autour !

JEAN.

Ça a le cœur tendre et c’est innocent. Il s’agirait de la guérir de l’idée qu’elles ont toutes.