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JEAN.

Dirait-on pas que c’est moi qui ai corrompu les mœurs de monsieur !

BLANCHON.

C’est toi ! faut pas dire que c’est pas toi quand c’est toi !… c’est toi, je m’en plains pas {di|(buvant)}}, parce que… t’as beau me rudayer de temps en temps, je t’aime, moi. Tu vaux pas deux sous, mais t’as tout de même un cœur d’or pour tes amis ! T’es brutal, t’es colère, t’es ivrogne, t’es menteur avec les femmes, t’es pire qu’un chien, mais je t’aime comme t’es, voilà !

JEAN.

Allons, tu deviens tendre. Es-tu déjà dans les vignes, quand j’ai besoin de toi ?

BLANCHON, repoussant la bouteille.

Assez causé, vieille bavarde ! Faut laisser le monde tranquille. Voyons, Jean, je suis pas dans les vignes. On est là pour séduire la Gervaise, faut la séduire. Mais d’abord faut me dire comment que tu fais pour persuader ces jeunesses. Moi, je sais bien attraper celles qui veulent jouer au plus malin avec moi. Oh ! celles-là, j’en sais aussi long que la plus madrée, et, tant plus elles ont de malice, tant plus ça m’en donne ; mais pour les innocentes, comme voilà la Gervaise, qui y va bon jeu bon argent… moi, j’oserais pas… ou je me trahirais, ou encore… à des fois, croyant attraper une alouette, je pourrais bien me prendre à mon piége comme un moineau franc.

JEAN.

Si t’as c’te crainte-là, mon camarade, faut pas t’y frotter pour ton compte. Les filles, les femmes, vois-tu, les niaises comme les dégourdies, c’est toujours la même ract de fouines, et, quand ça vous tient un homme, ça vous le mène où ça veut ; et ce que ça veut, c’est de lui ronger la tête et de lui ôter la cervelle, pour mettre sa volonté et son commandement à la place. Ça veut être seule maîtresse au logis, et c’est quelquefois les plus douces qui deviennent les plus terribles. V’là la Gervaise… c’est comme un agneau ! eh bien, faut se défendre d’aimer trop, ça ferait faire