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JEAN.

Mais tu ne m’en as point fait, bien au contraire ! T’as donc rien à craindre…

GERVAISE.

Je crains tout de même. Moi, voyez-vous, Jean, je ne suis point coquette, je ne songeais pas à vous. Vous m’avez tant regardée, tant suivie, tant cherchée… Ah ! je ne sais pas comment l’amour m’est venu. C’est comme si vous m’aviez jeté un charme. Plus je voulais me défendre de penser à vous, plus j’y pensais, et, quand vous m’avez dit : « C’est pour toute la vie !… » eh bien, je voulais dire : « Non, je ne vous crois pas ; » et les paroles se sont changées dans ma bouche, j’ai dit : « Oui, je te crois !… » Ah ! c’est comme une magie ! Mais, quand je ne vous vois plus, le chagrin me prend et je voudrais être morte.

JEAN.

Morte !

GERVAISE.

Oui ! ça n’est pas des histoires que je vous fais là ! hier, je marchais contre la rivière, et dix fois j’ai eu l’idée…

JEAN.

De te jeter à l’eau ? Ah ! par exemple, ça se serait trop dommage ! Mais l’eau ne voudrait point te noyer, petite folle, elle te caresserait tout entière, comme elle caresse les fleurs qui flottent dessus.

GERVAISE.

Jean, vous vous moquez ! Ah ! prenez garde, je ne vous laisserai point rire de moi.

JEAN.

Vas-tu redevenir méchante comme hier ? Eh bien, sois méchante si tu veux ! t’es encore jolie, toi, quand tu es en colère ; t’as des yeux qui brillent comme des diamants… M’est avis que, si nous étions mariés, nous aurions du tonnerre et de la grêle ; mais y aurait aussi du soleil et des roses, et les pardons qu’on se ferait seraient si doux, qu’on se disputerait pour le plaisir de se raccommoder.