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Mais, en se faisant connaître à son fils aîné, la comtesse avait créé un précédent redoutable. Était-il possible qu’il la prît pour une paysanne sous un déguisement si peu approprié à son genre de beauté ? Elle m’avait raconté qu’il n’avait jamais cherché à rien savoir d’elle, et que, même à mesure qu’il avait grandi et compris les choses de la vie, il avait désiré ne rien savoir de lui-même. Il se trouvait heureux de voir sa mère, il l’adorait ; il n’admettait pas qu’elle eût à se justifier de quelque soupçon que ce fût de sa part ; enfin, merveilleusement endoctriné par le marquis de Salcède, il n’avait aucune ambition, aucune curiosité, et son amour filial s’appuyait sur la rigidité d’une sorte de religion romanesque au-dessus de toutes les considérations et de toutes les préoccupations sociales.

Malgré toutes ces précautions, le premier hasard venu pouvait lui faire rencontrer la comtesse de Flamarande et reconnaître sa mère. Dès lors toutes choses pouvaient changer de face à ses yeux. Je suis très-sceptique, je ne crois pas aux éternels enthousiasmes de la jeunesse. Cette découverte devait, à mon sens, éveiller son ambition et compromettre la sécurité de son frère. Qui sait si alors, par crainte du scandale, M. de Flamarande n’eût pas consenti à laisser publier la déclaration qu’il m’avait confiée, sauf à ne jamais admettre ce fils illégitime dans son intimité et à éloigner Roger de sa mère et de lui ?